« La vie de chacun d’entre nous est marquée par une triple anxiété : la peur de la destruction, le désespoir devant l’absurde et la détresse de l’isolement » Karlfried Graf Dürckhem
Quand on a toute sa vie durant, baigné dans la culture occidentale et côtoyé les différents aspects de la philosophie et de la spiritualité occidentale, il peut être éclairant de retrouver le cheminement qui finalement a conduit vers le Bouddhisme pour découvrir les sources qui y ont contribué, pour peser la sincérité de cet engagement et aussi s’assurer de son adhésion à ces enseignements ; c’est pourquoi au lendemain de ma décision si tardive, j’aimerai faire un retour en arrière pour découvrir le fil rouge qui m’a amené à faire ce pas.
Il m’importe aussi de réfléchir comment harmoniser mon attachement etmon appartenance aux valeurs occidentales en y intégrant cette rencontre avec l’Orient.
Trois éléments ont, je crois, été déterminants dans ma jeunesse et peuvent apporter un éclairage à ce que je suis ( il faut ajouter que je suis née en 1927) :
1° Dans mon enfance, dès l’âge de 6 ans, des circonstances familiales difficiles ont conduit mes parents à me mettre dans un pensionnat, avec une autre sœur plus âgée et cela pendant 5 ans.
J’ y ai découvert le sentiment de solitude, avec ses peurs nocturnes . Cependant je voulais répondre à la demande de ma mère « d’être raisonnable » j‘ai alors développé un intérêt (compensatoire sans doute) pour le savoir, la connaissance que j’ai toujours privilégié depuis.
2° Dans mon adolescence, de retour au foyer familial : la guerre !
Un basculement évident des valeurs d’une civilisation à laquelle on croyait, vers un monde violent où s’affrontent des pays si proches pourtant. Je suis, depuis, devenue une inconditionnelle de la non-violence et antimilitariste convaincue.
3° La religion catholique, celle de ma famille, de mes écoles et des mouvements de jeunesse au sein desquels j’ai milité .
J’ai dirigé dès mes 20 ans une maison de vacances pour jeunes filles . Ce qui très tôt (trop tôt ?) m’a amené à assumer des responsabilités.
J’ai cependant eu assez vite l’impression de ne pas avoir reçu lors de cette éducation les données pour un bon équilibre de vie, ou pour mieux dire un plein épanouissement .
Trop de questions restaient pour moi sans réponses : place de la sexualité, de la femme, des dogmes imposés, pourquoi cette culpabilisation mise en avant et conséquemment cette difficulté à s’accepter, la présence du mal et de la souffrance, bref le sens de la vie , le pourquoi de cet existence …
(A ce propos, je retrouve une analyse sur cette époque de mon éducation religieuse catholique dans « L’Evangile d’un libre penseur » de Gabriel Ringlet , prêtre théologien « Quand je vois dans quel infantilisme, parfois, on a pu maintenir les chrétiens, dans quelle niaiserie, dans quel refoulement, quelle culpabilité… pardonnez-moi mais une terrible colère m’envahit. Je ne peux supporter qu’on transforme un Evangile vivant en bouillon pour les morts , p.150. »)
Après ces trois données qui n’ont pour but que de me situer au moment où j’aborde ma vie d’adulte et d’y rechercher le fil rouge qui par un long chemin m’a mené au Bouddhisme.
Je crois bien me rappeler que ma première découverte du Tibet, je la dois à Alexandra David Neel . Ses récits donnaient toutefois pour moi une image d’un monde intéressant certes mais fermé et ésotérique.
En dehors de ma vie professionnelle ( j’étais assistante sociale dans une usine d’une région industrielle) c’est surtout par la lecture que peu à peu j’ai eu connaissance de la spiritualité orientale et parfois nommément du Bouddhisme . C’est sans doute Aldous Huxley dont j’ai découvert les essais après la guerre qui m’a le premier donné une vision positive du Bouddhisme : dans « Le plus sot animal » (en anglais Proper Studies) « La Fin et les Moyens » (Ends and Means). J’avoue garder maintenant encore une place favorite dans mes lectures à cet auteur qui m’a ouvert des perspectives vers une spiritualité plus ouverte et plus équilibrée.
Moins sérieusement, je n’oublie pas qu’en Belgique, nous avons bénéficié dès 1960 de la parution de « Tintin au Tibet » par Hergé.
D’autre part, je suis et reste attachée profondément à des auteurs occidentaux qui posent un questionnement sur le sens de la vie, et dont l’inquiétude va parfois jusqu’à avancer la théorie de son absurdité : Albert Camus et son humanisme chaleureux , Cioran et sa détresse.
Mes premiers contacts moins livresques je les dois à Arnaud Desjardins dont j ’ai suivi une série de conférences à la radio au début des années 1960. J’ai acheté alors « A la recherche du Soi » « Monde moderne et Sagesse Ancienne » et un livre sur Gurdjieff. Je me suis aussi abonnée dès l’annonce de sa parution à une revue « Planète » en octobre 61 dirigée par Louis Pauwels qui se voulait aller à la recherche de civilisations culturelles anciennes et d’ aujourd’hui mais parfois lointaines, qui apportaient d’autres réponses que l’Occident. Grâce à elle, j’ai découvert des écrits de Teilhard de Chardin , Julian Huxley et même de certains voyageurs qui revenaient de monastères tibétains. Cette revue me confortait aussi dans le malaise que j’éprouvais vis-à-vis du colonialisme et de l’endoctrinement des populations indigènes particulièrement au Congo belge car elle adoptait enfin une ouverture positive aux différentes réponses que l’humanité avait et donnait encore au sens de l’existence et à l’ aide pour vivre que chacun pouvait y trouver.
En dehors des livres, les Arts et spécialement la musique ont été et sont toujours pour moi des havres de paix , de sérénité qui éveille la part la meilleure en nous-même.La musique de chambre spécialement m’a accompagné toute ma vie, m’a aidé à vivre et je citerai Cioran « Nous ne sentons vraiment que nous avons « une âme » que lorsque nous écoutons de la musique »(Cahiers p.102) Bien que n’étant qu’une simple mélomane , je ne puis ne pas mentionner ce qui a été et est encore pour moi l’apport essentiel et spécifique de l’Occident dans la spiritualité, l’Art faisant entrevoir une dimension qui nous transcende.
J’avais, comme chacun, suivi avec désolation le drame que vivait le Tibet sans vraiment le découvrir dans toute sa portée . Il est certain toutefois que la fuite du Dalaï- Lama et son arrivée en Inde a permis d’ en mieux comprendre toute la tragédie.Lors de l’attribution de son prix Nobel de la Paix en 1989, l’Europe et le monde découvraient la bonté, la sagesse et le rayonnement de celui qui était le meilleur représentant du Bouddhisme Tibétain, mais bien avant cela, les reportages et les images relataient, sans doute en partie, le « génocide culturel » que vivait la population restée au pays.
En 1983 un tournant dans ma vie : je rejoins le parti écologiste naissant. J’avais découvert au « Pays Noir » la pollution, ses incidences sur la santé,la détérioration de notre planète, la condition ouvrière ,les discriminations hommes –femmes mais aussi le besoin d’éthique dans le monde politique, le manque de participation du citoyen à la gestion du pays. Ce parti avait comme ambition de « faire de la politique autrement ». Ses débuts ont été difficiles et m’ont amené à m’impliquer davantage et à accepter des responsabilités plus prenantes que je n’avais imaginé et cela jusqu’en 1994.
C’est donc bien tardivement que j’ai souhaité approfondir les réponses que le Bouddhisme apportait tant sur le plan philosophique que dans ses préceptes de vie. J’avais eu l’occasion au plan politique de suivre de près le dossier du Tibet et le comportement de la population. Je découvrais aussi ses affinités avec l’Ecologie qui mettait l’homme au sein de la nature sans prérogative mais soulignait au contraire ses responsabilités …
Mais j’ignorais alors où trouver les enseignements que je souhaitais . Je suivais régulièrement les émissions Bouddhistes sur France 2 qui un jour à conseillé l’achat d’un Guide de Ph.Cornu où j’ai trouvé l’adresse et les coordonnées de l’Institut Yeunten Ling à Huy. C’est là que j’ai commencé à approcher les enseignements très régulièrement pendant les week-ends dés 2000.
J’avais déjà beaucoup lu sur le Bouddhisme mais découvrir les enseignements vivants est une expérience irremplaçable et de plus, dans une atmosphère paisible et conviviale. Ce qui m’a frappé et que j’ai apprécié, c’est qu’après l’enseignement, il y avait place pour les questions. Et puis j’ai enfin découvert la méditation, le calme du Temple ; le recueillement des participants favorisant l’approche de cette pratique que je ne trouvais pas facile . La prière dans la religion qui m’était familière et habituelle est bien différente car c’est une orientation des pensées vers un Etre et est plus une impulsion … La méditation que je m’efforce de pratiquer depuis nécessite pour moi un environnement et un calme autour de moi. Curieusement la présence d’autres méditants est une aide , il n’empêche que je dois avouer que je suis encore une piètre méditante même si de temps à autre j’ai ressenti une paix et un bien-être inattendu, et entrevu ce que peut apporter la méditation…. Mais je n’ai fait que l’entrevoir….
J’ai relu mes notes de cette époque et retrouvé le plaisir de la découverte d’une philosophie bien structurée à laquelle s’ajoutait une finesse d’analyse psychologique qui m’apparaissait tout à fait convaincante et contemporaine.
Cependant je me rappelle être restée perplexe devant les rituels, le cérémonial, toute l’atmosphère colorée tibétaine (les enseignements étaient donnés en tibétain). Il est vrai que les lamas étaient tibétains et qu’ils souhaitaient sans doute maintenir et propager cette culture en danger au pays, mais je doutais déjà de pouvoir assimiler cet exotisme et ces pratiques ésotériques.Par contre, j’adhérais facilement aux vertus transcendantes (ou Paramitas) persuadée que c’était là le chemin pour la réalisation de l’être humain même si elles m’apparaissaient comme une voie difficile d’accès : la Sagesse notamment si éloignée de la vie occidentale…mais aussi la patience !
En mai 2001, sur le conseil d’une amie bouddhiste rencontrée à Huy, j’ai été à une journée d’un enseignement de Ringu Tulku Rimpoché. C’était au programme : un simple questions-réponses , l’enseignement était donné en anglais et traduit.J’ai aidé une voisine dans la peine à poser une question par écrit, elle était en grande détresse, seule avec un enfant handicapé et ne trouvait pas d’issue à ses problèmes.
L’attitude recueillie, le calme et la sérénité donnée dans la réponse par Rimpoché m’ont fait découvrir vers quelle profondeur pouvait conduire cette spiritualité. Comme assistante sociale, je savais la difficulté à trouver la juste attitude. Le lendemain, cette dame et moi avons été à son enseignement du soir et depuis, je sais qu’elle a trouvé une issue favorable tant pour elle que pour son fils.
Si je relate cette expérience personnelle, c’est que je crois vraiment que la rencontre avec le Bouddhisme passe obligatoirement par ces trois étapes : la lecture, l’enseignement et la rencontre d’un Maître qui incarne ce qui vous a été donné intellectuellement. Je sais qu’après, il faut la pratique et son intégration dans le quotidien, surmonter les obstacles qui interviennent sur le chemin de l’adoption et de l’adhésion à cette nouvelle spiritualité. (J’hésite à utiliser le mot religion tellement galvaudé et trahi trop souvent par ses dérives.) Ce fut un long chemin pour moi et difficile .Pourtant bien des éléments du Bouddhisme me séduisaient d’autant que certains étaient ancrés en moi: la non-violence, la tolérance,la compassion et l’amour pour tous ,le respect de la nature .D’autres éléments m’ont paru assez vite convaincants et apportant même une réponse à des questions toujours restées sans réponse jusqu’alors :l’interdépendance, l’impermanence (évidente !) la réincarnation (même si ce que j’en conçois n’est peut-être pas orthodoxe).
Depuis, j’ai suivi le plus régulièrement possible les enseignements par Ringu Tulku Rimpoché . Ceux-ci me sont apparus plus clairs, plus accessibles aussi .Sa grande souplesse ainsi que sa compréhension permettaient aussi de saisir que l’essentiel était de trouver et prendre dans le message bouddhique ce qui était bon pour soi que c’était là l’important..
Très séduite au départ, j’ai ressenti ensuite une résistance pour m’engager que je n’explique pas aisément.La pratique de la méditation m’a paru soudain moins accessible.
D’autre part, ma santé se dégradait. La vieillesse entraînait pour moi des difficultés supplémentaires. L’ouïe,bien nécessaire à la fois dans la relation avec l’entourage et aussi les enseignements. Les douleurs rhumatismales qui sont un handicap à rester serein et tranquille.Et puis les déplacements vers les Centres devenus difficiles alors que, j’ai besoin de sentir une communion avec d’autres pour pratiquer.C’est peut-être là que réside mon problème .Je sais qu’il serait sage d’accepter les limites imposées par la vieillesse mais entre le savoir et le vivre il y a une distance incommensurable que chacun de nous est appelé à connaître dans d’autres domaines.
De fait, le Bouddhisme peut paraître comme une spiritualité de solitaire si on ne participe pas à la vie d’un Centre, la méditation, même si elle dédiée à tous les êtres, est un repli vers soi très différent des cultes monothéistes où on se met sous le regard d’un Etre.
Bien sûr, la « Sangha » : mais pour moi, je l’avoue j’y vois une notion encore assez théorique et lointaine..
En 2002, j’avais assisté à une conférence donnée par Maître Roland Yuno Rech qui m’avait beaucoup éclairé pour comprendre la différence d’approche entre les spiritualités orientales et occidentales . Moine Zen, mais occidental, il mettait le doigt sur l’équilibre qu’apportait le Bouddhisme à l’Européen désorienté : pour lui, le Bouddhisme permettait de retrouver l’Unité en donnant plus de sens à la vie et abandonner ainsi des dualités préjudiciables à l’épanouissement : dualité entre le corps et l’esprit, entre soi et les autres, entre l’homme et la nature , entre le matériel et spirituel, entre les moyens et la fin, entre la vie et la mort..
Je résume évidemment à ma manière et comme je peux un enseignement qui m’a paru une réponse forte pour expliquer l’attrait de l’Occident pour le Bouddhisme et l’ apport essentiel de celui-ci dans notre monde désaxé.
Alors pourquoi tant d’hésitations de ma part à faire un pas définitif ? Je n’ai pas, il est vrai, une nature à m’engager à la légère et je sentais encore des réticences vis-à-vis de certaines pratiques, peut-être aussi par une certaine paresse…mais réellement, il y avait un recul en moi comme si je devais abandonner quelque chose . Même si je reste attachée au message de l’Evangile, ses Institutions ne me semblent pas porteur de ce message et j’avais rompu avec elles : trop de richesses, trop de pouvoirs , trop de certitudes absolues et de diktats sans nuances. Pourtant tant de catholiques ont porté et portaient encore d’une façon remarquable et exemplaire le message du Christ. Quelles complexités engendrées par le comportement humain !.
Il a fallu une hospitalisation inopinée et en urgence en octobre 2009 pour m’apporter le coup de pouce nécessaire pour prendre enfin une décision . (J’ai lu dernièrement dans une étude consacrée au vieillissement que celui-ci entraînait une résistance au changement, j’ai trouvé là une justification à mes tergiversations… ah, ce besoin de toujours se justifier !) Etant en danger, l’infirmière qui rédigeait mon dossier m’a demandé ma religion : après une minute de réflexion, j’ai répondu « Bouddhisme ».Pendant les semaines de mon séjour à l’hôpital, j’ai réfléchi à ce qui m’avait poussé à donner cette réponse :pour commencer, sincèrement, je ne me voyait pas mourir avec l’étiquette « sans religion » j’ai toujours vécu persuadée que les valeurs spirituelles sont essentielles et portent l’espérance de l’humanité quand elles sont empreintes de l’ouverture vers l’autre. J’ ai mis en exergue à mon récit, un texte de K-G Dürckheim, qui m’a paru résumer admirablement les détresses de la vie humaine ; Pour moi, c’est le Bouddhisme qui y répond le mieux et sa philosophie et ses vertus transcendantes , cœur de la pratique, correspondent le mieux à ma vision d’un être accompli .
Mais surtout, la bonté et la compréhension encourageante de Ringu Tulku Rimpoché ont été pour moi ces dernières années une aide et un réconfort important. Ma réponse ne pouvait pas être autre.
En mars 2010, lors de la venue de Rimpoché à Bruxelles et grâce aussi à l’aide efficace et rapide de François Henrard , malgré un programme très chargé Rimpoché a bien voulu me donner refuge dans le Temple de Kagyu Samye Dzong, merci à eux pour cette hospitalité impromptue.J’ai reçu le beau nom de « The Torch of Dharma ».
Je ne crois pas être une très bonne bouddhiste. Je ne sais pas si, sur le chemin qui me reste, je pourrais progresser.Je sais pourtant qu’il ne faut pas que mon esprit rationnel trop occidental sans doute me perturbe , mais qu’il me faut trouver la voie pour harmoniser en moi ce que j’ai reçu de l’Occident avec ses doutes, ses questions, ses valeurs et la voie spirituelle que j’ai choisi avec certaines pratiques et rituels encore difficiles et peu accessibles pour moi .Mais je sais que je suis heureuse d’avoir rejoint cette spiritualité qui allie merveilleusement la compassion et la sagesse et que je souhaite qu’après ma mort, je puisses , dans une autre existence peut-être , y être meilleure.
05/08/2010 Denise Nélis
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